Tangente vers l'est - Maylis de Kerangal
Tangente vers l’est est un court roman de 127 pages, « reprise infidèle d’une fiction radiophonique » élaborée par Maylis de Kerangal lors d’un voyage dans le transsibérien, en compagnie d’autres écrivains invités dans le cadre de l’année France-Russie. Le contexte est souvent intéressant lorsqu’il éclaire le texte. Ici, c’est le cas mais on peut aussi lire et apprécier Tangente vers l’est sans en connaître les conditions d’écriture.
Tangente vers l’est est l’histoire d’une rencontre improbable entre une française, Hélène, et un jeune conscrit, Aliocha. Tous deux poursuivent, sans le savoir, le même but : ils ne rêvent que de s’enfuir : l’un veut échapper au service militaire tandis que l’autre fuit son amant russe. Dans le train qui tangue, ils vont s’épauler et ne plus se quitter. Mais attention, cette rencontre n’est pas exempte d’une certaine violence, l’auteur échappe ainsi à une romance fleur bleue à laquelle le résumé aurait pu faire croire.
Sur ce canevas, plutôt mince, Maylis de Kerangal dénoue une prose particulière, toute concentrée sur la symbolique de lieux et coutumes russes dont le transsibérien est le fil directeur. Hélène « a de la Russie une vision tragique et lacunaire », bric à brac insolite de souvenirs et d’images, soupesés et démantelés par l’auteur. Souvent, le texte s’apparente à un récit journalistique où le lecteur découvre des parcelles de la vie en Russie : les différentes façons d’échapper au service militaire, les dissidents qui redécouvrent leur pays, et surtout la vie dans le transsibérien, les provodnitsy, hôtesses chargées du bien-être des passagers, les arrêts dans les gares… A travers le périple des deux personnages, nous sommes embarqués dans ce train dont les bruits rythment notre lecture : « roulis monotone, cliquètements cycliques, essieux qui chauffent, criailleries du métal ».
J’ai trouvé le style de Maylis de Kerangal étonnant, son écriture est parfois ponctuée de gros mots mais cela n’est pas désagréable, juste surprenant. Ainsi, lorsque Hélène s’aperçoit qu’Aliocha prend racine dans son compartiment : « il lui suffit de voir le soldat endormi sur la couchette pour sentir que sa présence est saugrenue, déplacée et percevoir que quelque chose déconne ici, que quelque chose disjoncte ». De longues phrases parsèment le récit, alternant avec des phrases courtes, qui impulsent du rythme et aussi du suspense, car à l’instar d’Hélène, nous redoutons qu’Aliocha soit découvert et puni…
Au final, un petit roman qui se lit très bien, surprenant à bien des égards mais qui m’a laissé un peu déçue. Je n’ai pas retrouvé l’énergie de Corniche Kennedy qui m’avait tant plu.
Tangente vers l’est, Maylis de Kerangal, Verticales, 127 pages, 11,50 €