Les Petits, le dernier roman de Christine Angot
Difficile de lire le dernier roman de Christine Angot sans penser à la personnalité de l'auteure, à ses coups de gueule célèbres. La lecture en est forcément troublée, surtout pour moi qui adore lire sans à priori aucun. Jusqu'ici, j'avais évité de la lire, n'étant pas particulièrement attirée par les polémiques intellectuelles. Ceci dit, ma première lecture de Christine Angot n'est pas une mauvaise expérience. Ce roman, intitulé Les Petits, a même une certaine envergure, une certaine puissance, n'en déplaise à ses détracteurs. Par contre, très curieusement, l'auteur ne se focalise pas sur l'écriture, son style semble à peine travaillé : phrases courtes, tournures familières dans les dialogues, pas de fioritures. Et moi, cela m'a souvent gênée, voire agacée. Mais si on met de côté ce style particulier, ce qui importe finalement, c'est autre chose, c'est le regard acéré de l'auteur sur ce couple en perdition, dont l'amour disparaît bientôt. C'est la force avec laquelle l'auteur nous embarque dans cette histoire familiale ratée.
Hélène rencontre Billy et après une courte période de bonheur, le malaise s'installe et monte crescendo. La faute à qui ? Aux quatre enfants qui naissent ? A la vie qui défile, avec son lot de malheurs habituels ? Apparemment cela vient d'Hélène, de son emprise sur le monde autour d'elle, des règles qu'elle impose à son entourage. Elle "refuse la loi du père, la loi du juge". Billy, son compagnon antillais, musicien, laisse courir : « il ne supporte pas le rapport de force. Il lâche sur des détails se piégeant lui-même. Le cadre se referme comme ça peu à peu. » Il se retrouvera bien malgré lui accusé de violence. L'engrenage de la justice va pouvoir se refermer sur lui...
J'ai été bluffée par la connaissance très fine de l'auteur des rouages de la justice, surtout en ce qui concerne les affaires de divorce, de gardes d'enfants... Dès lors, le roman se fait miroir de l'époque, de la société, de la famille : Christine Angot, au départ, ne juge pas, mais dissèque les faits : elle observe les dégâts produits chez Billy puis sur ses enfants. Extérieure au récit pendant la moitié du roman, très soudainement elle utilise le « je » qui la propulse tout à côté de ce couple cassé : elle est la (nouvelle) compagne de Billy.
Ici la fiction et l'autobiographie se rejoignent pour former un texte ardent et dur sur les travers de la justice, mais surtout sur un portrait de femme peu élogieux. La gent féminine n'en sort pas grandie ! Très vite lu, ce roman est intéressant et flirte souvent avec l'étude sociologique. J'ai moins aimé l'écriture en elle-même, trop légère, trop faible sur le plan stylistique. Dommage, car l'alliance des deux aurait fait de ces Petits un grand roman.
"Je comprends, j'ai connu ça. On croit qu'on va passer entre les gouttes. Entre les mailles du filet. Qu'on aura du bol. Que c'est pas si terrible, qu'on peut y survivre. On se dit ça parce que on n'a pas le choix. On se dit qu'il y a des avantages. Malgré tout. On deale. On ne se sent même plus attaché à ce qu'on a, ni à ce qu'on est, à ce qu'on était. ça paraît loin ce qu'on était. On fait la liste des compensations. On fait ressortir le positif. Etre à la maison avec les enfants. S'évader avec Chloé. Les échappées. Les soupapes. On se dit qu'on a des respirations. Qu'on apprend des choses. Qu'on découvre. Que c'est un enseignement. On voit que c'est terrible. On l'ignore. On le chasse. On deale. On voit, on s'inquiète, mais on ne pense pas à l'avenir. Il est loin. On verra.On n'en est pas là. Peut-être qu'on va s'en sortir. On ne sait jamais. Soi exceptionnellement. On va peut-être échapper aux statistiques. Faire exception une fois de plus. On est peut-être plus fort que les autres. Après tout. Immortel. Pourquoi pas ? Plus malin. Plus... Je connais tout ça. Je comprends." (page183)
Les Petits, Christine Angot, Flammarion, 187 pages, 17 €