Le livre des brèves amours éternelles - Andréï Makine
Composé de huit chapitres ciselés comme des entités quasiment indépendantes les unes des autres, ce roman est une subtile réflexion sur le temps, l'amour et la quête du bonheur. La perte des illusions aussi, car le narrateur, qui a certainement beaucoup de points communs avec l'auteur Andréï Makine, compare ses émois d'enfant avec ceux de l'âge adulte. Son existence est "rythmée par de grandioses spectacles de masse" dans la Russie des années soixante. Un des chapitres intitulé "une doctrine éternellement vivante" montre bien la puissance de l'endoctrinement sur les jeunes esprits. Heureusement, quelques rencontres féminines pousseront le jeune homme à douter de la véracité de cette société nouvelle. Surtout, ces rencontres feront germer en lui d'autres possibles comme l'apprentissage de "cette sérénité indifférente à la laideur et à la grossièreté du monde, (...) une forme de résistance, peut-être même plus efficace que les chuchotements contestataires que j'allais entendre dans les milieux intellectuels de Leningrad ou de Moscou".
Au départ, la structure du livre m'a un peu désorienté : je m'attendais à retrouver et approfondir certains personnages au fil des pages, comme ce Dmitri Ress, autour de qui plane une sorte de mystère : pourquoi s'est-il opposé si longtemps au régime, dans "une lutte à la Don Quichotte" ? Or tel n'est pas le dessein de Makine, qui ne souhaite pas réécrire l'histoire d'un Soljenitsyne bis... Surnommé le poète par ses compagnons d'infortune des camps de travaux forcés, Dmitri ne réapparaîtra qu'au dernier chapitre.
" Les images d'enfance ne se décolorent ni ne s'effacent »
La lecture est un peu frustrante, puisque certains personnages, dont les contours commencent à peine à émerger, disparaissent déjà ! Mais ce qui est intéressant, c'est ce travail sur la langue, cette écriture précise, concentrée à l'extrême, chaque chapitre étant un microcosme à part entière... Quelques impressions renforcées par le fait que le style d'Andréï Makine demeure très classique (je l'ai même trouvé précieux à certains endroits).
Bref, l'ensemble est intéressant à lire, mais ce texte ne m'a pas vraiment touchée, même si certaines images demeurent : le champ immense de pommiers dans lequel se promène le narrateur avec cette jeune femme, Kira, amoureuse d'un opportuniste opposant. Ou encore la trajectoire de Jorka, le jeune homme mutilé à la suite d'un accident. Devenu paria parmi les hommes, il n'en demeure pas moins délicat...
Au final, même si ce livre forme un ensemble un peu disparate, je me suis quand même plu à suivre ce chemin menant aux brèves amours éternelles. Quand au bonheur, tous le recherchent ardemment mais rares sont ceux qui parviennent à en jouir, ne serait-ce que brièvement :
« Notre erreur fatale est de chercher des paradis pérennes. Des plaisirs qui ne s'usent pas, des attachements persistants, des caresses à la vitalité des lianes : l'arbre meurt mais leurs entrelacs continuent à verdoyer. Cette obsession de la durée nous fait manquer tant de paradis fugaces, les seuls que nous puissions approcher au cours de notre fulgurant trajet de mortels ».
Le livre des brèves amours éternelles, Andréï Makine, Seuil, 194 pages, 18,50 €