Homo erectus - Tonino Benacquista
Tonino Benacquista est Quelqu'un de bien... Il m'avait séduite par ce roman, lu il y a déjà quelques années. A l'époque j'avais adoré et m'étais précipitée sur Saga pour poursuivre l'état de grâce, malheureusement ce fut une déception. Heureusement Tonino Benacquista a plus d'un tour d'écriture dans son sac : en témoigne sa collaboration fructueuse avec Tardi (pour ne citer que lui) : le serrurier volant est un petit bijou de récit. Et je ne parle même pas de ses scénarios dont le superbe Sur mes lèvres...
Et alors, son petit
dernier, Homo erectus, qu'en penser ? Il m'a attiré comme un aimant, ne serait-ce que par son résumé : trois hommes, aux origines et métiers complètement différents, se
rencontrent en fréquentant une curieuse assemblée exclusivement masculine qui se réunit en soirée, le jeudi. Tous ces hommes viennent pour écouter, tour à tour, ceux
qui veulent bien raconter leur trajectoire de vie mais surtout leur rapport à la gent féminine. Ainsi, le roman est truffé de petites scénettes amusantes, dans l'air du temps (hélas
peut-être un peu trop ?). La vie sexuelle des personnages se révèle le moteur du livre. Sans doute pour éviter l'effet catalogue, l'auteur choisit de concentrer son regard sur trois
personnages : entre Philippe, philosophe poseur (qui va rencontrer un top model), Denis, serveur dépressif et Yves, poseur de fenêtre trompé, il y a de quoi se réjouir des insondables
mystères de l'âme masculine !
Homo erectus nous convie donc à une visite de parcours masculins à la fois très originaux et banals. J'ai trouvé ce livre intéressant et croustillant, ne serait-ce que pour la galerie d'hommes pour le moins éclectique dépeinte dans ce livre. Tonino Benacquista a le chic pour peindre de beaux personnages, avec néanmoins des failles, parfois mystérieux, comme par exemple l'étrange jeune femme qui s'installe chez l'un des trois compères. On se sait d'où elle vient, ni pourquoi elle s'incruste ainsi. Le tout est très agréable à lire mais une fois terminé, je ne peux m'empêcher de me demander si ce livre résistera au temps. Et je n'ai pas retrouvé l'acuité de Quelqu'un de bien.
Extrait :
"Pour certains, il s'agissait d'un rendez-vous réservé aux hommes, où il était question de femmes. D'autres, en mal de solidarité, y voyaient le dernier refuge des grands blessés d'une guerre éternelle. Pour tous, d'où qu'ils viennent et quoi qu'ils aient vécu, c'était avant tout le lieu où raconter son histoire. Où la confier sans chercher à convaincre, sans souci de thérapie, sans rien espérer en retour sinon qu'elle fasse écho à celle d'un auditeur anonyme venu, lui, en quête de réponses. L'intervenant était seul juge du bien-fondé de son histoire et nombreuses étaient les raisons de la partager. Il pouvait vouloir s'en débarrasser une fois pour toutes, ou lui donner un faux air de conte et la métamorphoser en souvenir épique. Il pouvait aussi la livrer aux autres pour leur éviter de sombrer dans les mêmes tourments. A moins qu'il ne s'offrît, devant des tiers, l'occasion de revenir sur les multiples choix auxquels il avait été confronté, sur les destins auxquels il avait échappé. Et si sa mésaventure avait tourné au drame, en la décrivant il se consolait ici de n'avoir pas souffert en vain.
Les habitués taisaient l'existence même de ces séances ou, s'ils y étaient contraints, évoquaient de façon neutre leur cercle du jeudi. Loge, club, cénacle, fratrie, le fait que chacun puisse désigner cette assemblée par les termes de son choix évitait la tentation du rituel, ou le glissement vers la société secrète qui impose ses lois et ses exclusions. Cependant, on n'y tolérait que les individus sincères, dépourvus d'intentions malignes, les autres ne revenaient jamais, ou bien en cas d'urgence, car personne, sur ces questions-là, n'était à l'abri d'un coup du sort."
Homo erectus, Tonino Benacquista, Gallimard, collection blanche, 160 pages, 17.90€
Emission "dans quelle étagère" : petite vidéo où l'auteur présente son livre (18/03/2011)
Un site sur Tonino Benacquista : http://toninobenacquista.webs.com/ : sa vie, son oeuvre...
Quelques autres avis : Lynchmaniac ; Caroline Gautron (Librairie Cadet) ; Asphodèle ;Céleste (blog livrogne) ; Philippe Sendek (Etat-critique)