Un saut parfait : "Corniche Kennedy" de Maylis de Kerangal
Surprenant texte que "Corniche Kennedy" : style aérien, nerveux, à
l'image de la bande de jeunes qui en sont les héros :
"Les petits cons de la corniche. La bande. On ne sait les nommer autrement. Leur corps est incisif, leur âge dilaté entre treize et dix-sept, et c’est un seul et même âge, celui de la
conquête : on détourne la joue du baiser maternel, on crache dans la soupe, on déserte la maison. » (page 14).
Ces jeunes adolescents envahissent une
zone du littoral,"la Plate" de laquelle ils peuvent plonger et s'enivrer de vertige. Ils s'y retrouvent, draguent, tchatchent... Un
commissaire, Sylvestre Opéra (quel nom !!!), les observe avec ses jumelles, de temps à autre, envie leur fougue et puis repart à ses nombreuses activités. Mais son supérieur,
surnommé le jockey, veut nettoyer l'endroit de ces kamikazes
: tolérance zéro pour ces jeunes désoeuvrés...
Et soudain, le roman explose en plein vol : l'auteur emprunte certains codes du polar, à travers une enquête mouvementée de Sylvestre Opéra (drogue, prostitution, malfrats de la
mafia...), revient sur la bande de jeunes rendus arrogants par le défi que les autorités leur renvoient... C'est fort, prenant, tendu et en même temps les descriptions des adolescents sont
tendres, justes, belles. Un grand plongeon fort réussi entre plusieurs univers. Et le style de l'auteur est tout à fait original. Bravo !
"Ils ont fait la route d'une traite - blanche corniche cossue, boulevard maritime desservant les plages, avenue rectiligne cadastrant les cités, rue de banlieue pavillonaire, vieille
départementale agreste hérissée d'affiches publicitaires, chemin communal frangé de mûriers platanes, sentier vicinal cahoteux fumant le plâtre au passage des deux-roues et goulet, donc -, ont
roulé sans se parler mais gueulant parfois dans les virages, se sont frayé un passage dans le flot des véhicules qui leur faisait escorte et, le trafic s'amenuisant, ont accru leur vitesse
car c'était leur plaisir, impatients qu'ils sont de s'avancer toujours plus vite et plus avant sur le front de la vie ; ils ont les yeux brûlés par le soleil qui monte devant eux, les
joues râpées par les vents, et sur la langue la poussière de l'asphalte : ils ont la peau des aventuriers." (page 174)

*Ce titre fait partie de la sélection du prix inter CE 2009
Editions Verticales
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