Lait noir d'Elif Shafak

Publié le par Flora

Lait noir est tout à la fois un roman, un essai, une autobiographie, une fiction, bref un texte inclassable ! L’auteur mélange tous ces genres pour mieux tenter de répondre à l’interrogation qui la taraude tout au long du récit : peut-on être mère tout en se revendiquant écrivain ? A moins que ce ne soit l’inverse : peut-on être écrivain  tout en se revendiquant mère ?

Elif Shafak se questionne et nous questionne aussi, convoquant nombre de femmes ayant marqué l’histoire : Virginia Woolf, Sylvia Plath, Charlotte Brontë, Simone de Beauvoir, George Sand ou plus près de nous, JK Rowling… Elle suit plusieurs pistes, des femmes qui ont eu des enfants, et d’autres non, sans favoriser telle ou telle trajectoire.

A noter également, une certaine érudition littéraire, Elif Shafak aime citer de nombreux auteurs turcs (pour moi pauvre inculte, inconnus au bataillon) et ainsi elle nous fait partager ses découvertes ainsi que ses contemporains. 

Bourré d’inventions, de poésie douce et légère mais surtout d’un humour ravageur, Lait noir regorge de trouvailles rigolotes, comme ces Miss censées reproduire les voix intérieures de l’auteur : Miss Cynique Intello, Miss Ego Ambition, Miss Intelligence Pratique, Dame Derviche, Maman Gâteau et Miss Satin Volupté. L’une se bagarre avec l’autre, tandis que les autres devisent, conseillent et guident l’auteur.

C’est ludique, jubilatoire mais parfois un peu fatiguant car on a l’impression d’extraits qui se juxtaposent les uns aux autres, avec le fil directeur de la féminité qui sous tend tout le texte…

Mais l’auteur sait nous émouvoir avec le récit de sa dépression post natale et ce que l’on retient de ce texte c’est l’apparente facilité qu’a l’auteur de passer d’un registre à l’autre et l’on a  finalement la curieuse impression d’une conversation à bâtons rompus…


"-Regarde-toi. Qu'est-ce que tu vois en toi ?
Une créature éreintée par des années de rêves bidon, d'hommes bidon, de relations bidon ; qui n'a pas encore dépassé le ressentiment d'avoir grandi sans père ; à couteaux tirés avec ses amants, aussi blessante que blessée ; qui prend plus au sérieux qu'il ne faut les propos du tout-venant, qui ne se connaît pas encore vraiment ; inquiète à l'idée que Dieu ne l'aime pas, ne la voie pas, ne la protège pas mais incapable de s'empêcher de vitupérer contre Lui ; qui ne se sent heureuse, complète, que lorsqu'elle écrit des romans, pour qui chaque instant passé hors de la littérature n'est que points d'interrogation, contradictions, chancellements et remous ; qui ne sait pas vraiment pourquoi elle écrit mais demeure néanmoins convaincue qu'elle ne pourrait pas vivre sans écrire ; pas encore assez mûre/adulte/accomplie, incapable de rendre grâce à Dieu comme il se doit ; lorsque je me regarde, je vois une créature mi-femme, mi-petite fille, qui ne cesse de tomber et de prixdeslectricesELLEs'égratigner les genoux. Mais ça, je n'ai pas le courage de l'avouer. "
(page 136-137) 


Lait noir
, Elif Shafak, traduit du turc par Valérie Gay-Aksoy, Phébus, 352 p., 22 €

Publié dans L'attrape-livres

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Z
<br /> Un texte que j'ai beaucoup aimé. Et ne t'inquiète pas, tu n'est pas la seule à être un peu larguée pour les auteurs turques ;-)<br /> <br /> <br />
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F
<br /> bon ça me rassure !!!<br /> <br /> <br />